Agamemnon

d'après Eschyle

Agamemnon

Une tragédie d'Eschyle

adaptée par Eschylle

Les personnages :

Agamemnon, roi d'Argos
Clytemnestre, la reine, sa femme
Egisthe, amant de Clytemnestre
Cassandre, fille de Priam, prisonnière d'Agamemnon
Le guetteur
Le messager
Le serviteur
Le choryphée
Le Choeur

Scène 1

Le Veilleur

J'en appelle aux dieux pour que cesse mon attente, ces années perdues à guetter.
Je dors comme un chien sur ce toit. Certes, c’est celui du Palais des Atrides. Certes, j’ai appris à connaître tous les feux qui sont là-haut, leurs chariots et leurs arcs, à force de guetter celui qui viendra de là-bas.
Quand une torche s’allumera là-bas, ce signe annoncera la chute de Troie et le retour de notre roi, Agamemnon.

Je veille, car c’est l’ordre qui m’a été donné par cette femme au cœur de roi.
Je veille et n’ai pas loisir de dormir, encore moins de rêver, car la peur est un café salé.
Quand je vois ce que je vois et entends ce que j’entends,
De ce qui se passe là, sous mes pieds, dans ce palais d’antique mémoire,
je ne peux que gémir et pleurer.
Et le seul chant que j’entonne, la nuit, est un chant de peine et de plaintes, Et ce chant me tient éveillé, en attente de la grande nouvelle…

Oh ! Réalité plus belle que l’illusion ! Flambeau de résine allumé, plus brillant que l’étoile des songes, salut à toi !
Salut, jour dans la nuit, salut, torche de la bonne nouvelle, salut, toi qui annonce les jours de fête de la victoire sur Ilion !

Il danse en tapant dans ses mains et en poussant une sorte de hululement.

Je chante à tue-tête le signal convenu avec la femme d’Agamemnon, le signal pour la tirer de sa couche, le signal pour lui dire que son mari revient, vainqueur de la ville d’Ilion, Troie la vaniteuse.
Car elle a péri comme le clame cette flamme !
Quant à moi, je vais mener la danse. J’ai vu le signal, j’ai donc tiré le triple six réservé aux chanceux. J’aurais peut-être même l’honneur de serrer la main de notre roi, à son retour.
Pour le reste, je me tais, un grand bœuf dort sur ma langue.

Cette demeure, si elle parlait, emploierait des mots très crus pour dire la réalité.
Pour moi, je parlerai à qui veut savoir et oublierai pour qui ne veut pas savoir.

Il sort. Entre le chœur .

Scène 2

Le Coryphée

Voilà dix ans que mille vaisseaux argiens s’élancèrent en direction de Troie, afin d’y accomplir leur devoir d’ingérence, sous la direction de deux frères, deux rois : Ménélas et Agamemnon. Les fils d’Atrée, Zeus les envoyait contre cette Alexandre, ce voleur de femme ; et pour cette femme de plus d’un homme, il se fera plus d’un combat, plus d'un meurtrre, plus d'un crime. Ainsi parle le destin.
Contre les voleurs, contre les troyens, sont partis les danaens, et seul le sang pouvait agréer les dieux.

Nous, trop jeunes ou trop vieux, sommes restés à quai…
Que peut faire un enfant ? Il marche à quatre pattes, il est la fragilité, il est la faiblesse ;
Que peut faire un vieillard ? Il marche sur trois pieds, pas plus fort qu’un enfant, il erre dans le jour, souvenir ambulant…

Que se passe-t-il, reine Clytemnestre ?
Pourquoi toutes ces libations sur les autels de nos dieux ?
La fragrance des offrandes sacrées caressent nos narines !
Les flammes éclairent la nuit !
Que se passe-t-il ?

Le Choeur

Les présages furent bons lors de leurs départs, à ces guerriers virils et fiers.
Deux aigles royaux pour ces deux rois, l’un de neige et l’autre d’obsidienne, apparurent par-dessus les toits, dans le ciel qu’on voyait, du côté de la main qui tient la lance et, d’une hase, dévorèrent la portée.

Ô nos soupirs, exprimez-vous, mais que triomphe la joie !

Le devin sut reconnaître en ces deux dévoreurs de lièvres les deux rois des Atrides, les chefs de l’expédition.
Ce qu'il vit ?
« Après longtemps de temps, ils forceront la ville de Priam. Les richesses amassées dans Troie seront détruites, à moins que les dieux n’empèchent le sac de la ville par cette armée. Artémis déteste les aigles qui dévorent la pauvre hase. »

Ô nos soupirs, exprimez-vous, mais que triomphe la joie !

« Favorable et défavorable, tel est le sens de cette apparition.
J’invoque à grands cris Péan pour empêcher les vents contraires,
Pour qu’elle n’exige pas un sacrifice cruel, cause de haines et de rancunes aux dépens de l’époux. »
Ô nos soupirs, exprimez-vous, mais que triomphe la joie !

Zeus, ou tout autre, s’il répond, je l’invoque.
Seul Zeus peut m’ôter cette angoisse.

Zeus donne la raison aux hommes, avec pour règle de l'apprendre à leurs dépens.

La sagesse nait quand, goutte à goutte sur le cœur, nous taraudent les regrets douloureux.

Les vents, malgré tous les désirs, contrariaient le départ, dispersaient des vaisseaux, usaient carênes et cordages…

Alors le devin annonça le remède amer que proposait Artémis contre cette cruelle tempête.

Et les Atrides ne purent retenir leurs larmes.

Le chef aîné prit la parole :
« Fatalité de ne pas obéir, et fatalité d’obéir si je souille de ma main la gorge de ma fille, si je répands le sang de son corps virginal.
Tout choix sera un mal ! Mais je ne peux pas trahir mes frères d’armes !
Ce sacrifice qui apaise le vent, ce sang virginal, il faut le verser. qu'il nous porte bonheur ! »

Folie, sacrilège, impie, folie sacrilège, impie…

Il osa se faire immolateur de sa fille, pour cette guerre en rançon d’une femme, pour favoriser le départ des navires.

Implorante, elle ne pût fléchir son père, épris de guerre.

Folie, sacrilège, impie, folie sacrilège, impie…

Le père, après la prière, comme une chèvre, la fait soulever sur l’autel. D’un baillon, il ferme la bouche de celle qui pourrait se révolter contre sa maison. Elle qui n'ouvrait la bouche que pour chanter les louanges de son père.

Ni n’ai vu ni ne puis dire la suite, mais l’art de Calchas n’est pas impuissant.

Folie, sacrilège, impie, folie sacrilège, impie…

L’avenir, quand il arrive, on le connait ; sinon, salut ! autant pleurer d’avance.

Le soleil viendra avec le point du jour.

À SUIVRE...